mardi 15 avril 2014

Etienne Daho : Interview Brain Magazine !

 Étienne Daho - L'homme qui marche

Mardi, 15 Avril 2014

Rendez-vous en fin d’après-midi dans l’hôtel particulier du XVIIIème choisi par Étienne Daho pour recevoir les journalistes. Quelqu’un est en train de s’annoncer à l’interphone. Damned ! C’est Daho lui-même qui est venu seul. On presse le pas pour entrer en même temps que lui et se présenter. Aimable, charmeur et apparemment en forme olympique, il m’invite à profiter de la terrasse chauffée où nous serons seuls. La conversation démarre sur des chapeaux de roues. Radieux, il me parle de son dealer de vinyle préféré (Record Station, rue des Récollets dans le Xème) avant d’embrayer sur Montmartre. Rien ne laisserait penser que l’auteur des Chansons de l’Innocence Retrouvée, son dernier album qui triomphe, a frôlé la mort il y a à peine quelques mois (péritonite + septicémie)…
Étienne Daho : J’habite dans le XVIIIème depuis 87. Mes grands-parents vivaient dans le coin, place Blanche et place de Clichy. Ici, c’est vraiment mon coin depuis que je suis petit. J’allais faire du patin à roulettes à la Trinité.

Tu étais donc voisin de Daniel Darc, qui lui habitait aux Abbesses…
Oui, mais je ne le connaissais pas. La première fois que je l’ai rencontré, c’était en 78 à Rennes.

En ce moment, tu prépares la tournée ?
Oui, et j’aimerais bien travailler plus ! (Rires) Il y a toujours la promotion de l’album et plein, plein de chose à préparer et je n’ai pas encore vraiment commencé à travailler sur l’album en tournée. Je laisse les choses mûrir. (Rires) Après, ça ira vite. La difficulté, c’est de choisir les chansons adéquates. J’en ai tellement maintenant que je ne sais pas lesquelles choisir et que j’ai toujours la tentation de faire plaisir. Quand je vais voir un concert, dès qu’il y a un tube, je suis content. C’est donc une tentation de les mettre mais, en même temps, il y a beaucoup d’autres chansons que j’ai envie de chanter. Il faut toujours faire un mix savant. C’est un truc d’équilibriste que j’espère arriver à faire.


Tu choisis tout seul ou tu consultes d’autres personnes ?
Non, je ne consulte jamais personne, pour rien. (Rires)

En prélude à la tournée, tu auras carte blanche au festival Days Off à la Cité de la Musique, c'est bien ça ?
Oui, ça sera les 1er, 5 et 8 juillet.

Tu joueras Pop Satori le 1er juillet et ensuite, le 5, il y aura une soirée Pop Hits. Ça sera une sorte de "jukebox Etienne Daho" ?
Un peu, oui. Comme je vais faire quelque festivals cet été, il y aura le même show, un peu différent et il y en aura un troisième à la rentrée, celui de la tournée proprement dite.

Donc Pop Hits aura un répertoire de scène différent de celui de la tournée ?
Oui, parce que pour la tournée j’aurai plus le temps de rentrer dans l’album, de vraiment installer des climats et de faire des choses plus personnelles peut-être. Quand on joue dans des festivals, il faut aller à l’essentiel, c’est ce qui fait le plus plaisir et c’est toujours bien d’avoir une énergie soutenue du début à la fin du show.



Tu vas tourner avec les mêmes musiciens pour Pop Hits et la tournée ?
Oui. Ils étaient déjà là sur la tournée précédente et je les aime, donc je les veux encore ! (Rires)

Les dernières tournées sonnaient assez rock…
Un peu trop rock, ouais. Je ne tiens pas spécialement à faire du rock, c’est ce que j’évite de faire depuis des années mais c’est le naturel qui reprend le dessus parfois... (Rires)

Tu penses que la prochaine tournée sera aussi rock ?
Je ne sais pas si on peut appeler ça du rock parce que ça reste de la chanson française.

Parfois, au niveau guitare, ça déménageait vraiment…
Oui, bien sûr, parce que c’est ma culture, c’est de ça dont je suis fait, c’est mon ADN. Le Velvet m’a imprimé au fer rouge pour l’éternité - comme, dans une autre mesure, Syd Barrett. À un moment donné, quand je laisse un peu les choses aller, ça ressort, ça revient, c’est présent de toutes façons. Après, j’ai toujours essayé de faire ma propre petite musique qui est un mélange de tout ce qui m’a marqué. J’adore aussi les tubes. Quand j’étais petit, j’écoutais la radio. J’avais un cahier où je marquais les places au hit-parade des groupes et des chanteurs que j’aimais bien. Je n’avais pas le téléphone ni les moyens d’avoir le téléphone, donc je ne pouvais pas voter pour les gens que j’aimais bien… J’ai toujours aimé les tubes. J’ai toujours adoré les Beach Boys, par exemple, et aussi la pop française des années 60, 70, 80. Ce mélange de plein de choses me permet de dire que je fais de la pop et cela évite de m’enfermer dans un style trop étriqué. Je peux donc me permettre à peu près tout, ça sera de toute façon de la pop, c’est plié quoi ! (Rires)


L’album a eu un énorme succès critique et commercial. J’imagine que tu es ravi.
Oui, je suis content de vivre un succès posthume de mon vivant. (Rires)

Est-ce que ce succès t’aidera à monter de nouveaux projets ?
J’ai toujours fait ce que je voulais - toujours. J’ai eu la chance d’avoir des maisons de disques qui ne m’ont jamais emmerdé là-dessus. Après, c’est vrai que j’ai profité d’un moment où je n’étais nulle part pour faire Le Condamné à Mort. Je n’étais plus chez EMI et je n’étais pas encore chez Polydor, et le fait d’être dans un tel sas de liberté m’a permis de le faire. Je l’ai financé moi-même, c’était un vrai moment de liberté totale. C’est mon enfant ! (Rires)

J’ai lu une interview dans laquelle tu disais qu’au début tu ne voulais pas des deux singles de l’album (La Peau dure et Les Chansons de l’Innocence) parce qu’ils étaient trop «évidents», c’est vrai ?
Oui, c’est vrai, je ne peux pas m’empêcher de faire des tubes, je suis désolé ! (Rires) C’est tellement facile pour moi, non ? (Hilare) Quand on a commencé, les deux premières chansons étaient L’homme qui marche, qui est la chanson que je préfère dans l’album, et ensuite une chanson qui s’appelle Un Nouveau Printemps. Il y avait donc une espèce de climat très cinématographique qui s'est instauré, et quand les autres chansons sont arrivées, je les ai presque trouvées trop pop, trop évidentes. Il a donc été question de les mettre de côté pour en mettre d’autres… En fin de compte, je me suis dit : «pourquoi pas ? Pourquoi se priver d’avoir des chansons, des moment plus légers» ? Enfin, quand je dis «légers», les textes de ces deux chansons ne le sont pas du tout même si elles procurent une sensation de légèreté et qu’elles sont radiophoniques. Finalement, on les a mises sur l’album et ont été choisies pour être les premiers singles.



Tu as mis de côté des chansons qui étaient prévues pour l’album ?
Oui, il y avait une chanson qui était inspirée par William Burroughs, Les Garçons sauvages. C’est aussi ma culture, mais je ne l’ai pas faite. Je l’aime beaucoup, elle sera sur mon prochain disque où elle aura plus sa place. Il y avait aussi une chanson sur Bacon et son amant, George Dyer, qui s’appelle Bleu Gitane. J’avais l’intention de la placer en fin d’album mais j’ai eu l’impression qu’elle ralentissait l’énergie de l’album. Il faut un ordre et des climats particuliers pour traverser un album. Je trouve important d’écouter un album comme on écoute la radio. Une chanson en amène une autre, donne la main à la suivante pour arriver au bout. Cette chanson - Bleu Gitane - est l'une des chansons que je préfère pour plein, plein de raisons. En particulier parce qu’elle raconte le rapport de l’artiste à la muse, qui est parfois d’une cruauté terrible.

Pourquoi dis-tu que c’est cruel ?
Parce que l’artiste se nourrit de la muse, la vampirise, la dépèce… La muse est dépecée ! (Rires)


Tu ne penses pas que dans certains cas, il y a un échange ?
Je pense que la muse se fait toujours baiser la gueule dans l’histoire, je trouve. George Dyer s’est suicidé à Paris, quand même. J’ai une fascination morbide d’ailleurs pour ça. J’étais complètement obsédé pendant des mois et des mois. Quand j’étais à Londres, je me levais tous les jours à six heures du matin. Pas de mails, ni de téléphone, ni de rien du tout. Pas de monde extérieur - je commençais à écrire jusqu’à onze heures à peu près. Et puis après j’allais marcher, je faisais tout Londres. Je faisais des photos parce que j’aime beaucoup prendre des photos et je finissais toujours par stationner devant l’ancien atelier de Bacon. La rencontre avec Dyer s’est faite parce qu’il est rentré dans la maison en passant par un vasistas et qu’il est tombé dans l’atelier de Bacon. (Rires) Mentalement, je me demandais quel avait été son parcours, par quelle gouttière il était passé. Je tournais autour de la maison…
Quand je suis venu à Paris je suis allé à l’hôtel où il s’est suicidé, la veille du jour où Bacon a eu sa grande exposition au Grand Palais. C’était le plus grand peintre anglais depuis Turner à être célébré par les Français. Bacon a fait un triptyque de son suicide : on le voit sur les chiottes, en train de vomir dans l’évier… C’est très bizarre parce que je voulais absolument voir cet hôtel, la chambre où ça s’est passé. C’est pour ça que je dis que j’avais une fascination morbide. Je suis allé voir le garçon qui était à la réception de l’hôtel et je lui ai demandé si c’était ici que George Dyer avait vécu. Le garçon était un peu jeune et n’était pas au courant, mais il y avait une dame derrière moi qui a calmé mes ardeurs morbides (rires) en me disant que la chambre avait été refaite, qu’elle avait changé, qu’il y avait des gens dedans. Elle m’a dit une chose qui m’a saisi, c'est que Bacon a continué à revenir dans cette chambre régulièrement. C’est très étrange de vouloir revivre en permanence un drame comme celui-là en étant dans les murs.


Tu te levais tout le temps à six heures, c’est une technique de travail que tu emploies depuis longtemps ?
Non, non. Pendant des années, j’arrivais au studio en disant «oui, oui, j’ai tout» pour rassurer tout le monde. J’écrivais au dernier moment sur des bouts de feuilles que je collais sur le micro (rires) en essayant des choses. Sur L’Invitation (2007, ndlr), j’ai commencé à écrire en prenant mon temps, en me disant que j’écris mais que je peux revenir dessus. Je n’étais plus dans une urgence où tout d’un coup, tout est en trombe et où l'on se dit a posteriori qu’on aurait pu mieux cerner certaines situations. Pour cet album-là, j’étais parti à Barcelone pendant plusieurs mois, à Ibiza, tout seul. Et j’écrivais, j’écrivais. Je trouvais que Barcelone était vraiment une ville fantastique pour écrire parce que c’est tellement génial de traverser une ville sans connaître personne, sans avoir d’habitudes et se mettre un peu en danger. Tu quittes tout, tu te coupes de toutes tes amitiés, de la personne qui partage ta vie, ton quotidien, des choses pratiques de ton existence. Tout un coup, tu t’en vas ailleurs. J’aime bien. C’est comme ça que j’aime bien vivre. Partir… C’est ce que j’ai fait à Londres pour le dernier disque, j’étais dans une garçonnière où je n’avais rien…

Dans quel quartier ?
À Kensington. C’est Jane Birkin qui m’avait suggéré d’appeler l'une de ses amies pour qu’elle me loue une chambre meublée. Et j’étais très, très heureux là-bas. Je n’avais rien sauf les bouquins que j’avais achetés. J’ai pris du temps pour écrire ces textes. J’adore la fluidité des textes et de la musique mais souvent j’ai beaucoup trop de choses à dire. Alors j’écris, j’écris, j’écris et après il faut que je rétrécisse pour donner une sensation de simplicité et rester quand même dans la simplicité de la pop.



Il t’arrive d’écrire les textes avant la musique ?
Non, j’écris d’abord toujours la musique. C’est beaucoup plus facile pour moi d’écrire d’abord la musique. Les textes, c’est compliqué parce que le format de la chanson est très étriqué, et surtout parce que cela doit sonner. L’essentiel, c’est qu’il y ait un mariage des notes et des sonorités, c’est pour ça que ça marche. Il faut une fluidité, de sorte que si l'on a envie de voir les textes et entrer dans autre chose, on puisse le faire. Rien qu’à l’écoute, on est transporté. C’est pour ça que La Peau dure et Les Chansons de l’Innocence donnent une impression de légèreté alors qu’elles parlent de créatures, on va dire.

La disparition de Lou Reed a dû être un moment particulier pour toi…
Oui, mais tu sais, en même temps les gens qui t’ont tellement nourri sont toujours là. Et ça ne change pas grand-chose en fait. Il m’est arrivé de le rencontrer trois fois : à New-York, à Paris dans un hôtel et à Jouy-en-Josas quand le Velvet s’était reformé, cette reformation qui était le truc complètement improbable qu’on n’attendait pas du tout et qui s'est avéré être un truc de fou. Je n’ai jamais voulu lui parler parce que mes potes journalistes m’avaient dit à quel point il pouvait être super désagréable, et que je n’avais pas envie de me frotter à ça. Ca me suffit d’écouter ses disques, de lire ses textes. Et puis j’aime bien quand il est un peu tapette avec des ongles noirs, les cheveux blonds rasés, je trouve que là, il crée un personnage complètement arachnéen, je le trouve intéressant. Peut-être qu'ainsi, je le trouve plus connecté à la Factory, plus connecté à toutes les créatures dont il parle à longueur de chansons, les héros du bitume, les gens qui ont du mal avec l’existence.


Tu disais que pour toi, Alex Turner est l’artiste le plus intéressant actuellement, c'est bien ça ?
Ah oui ! Je trouve que c’est celui qui sait faire les meilleures chansons pop, bien que je le préfère dans ses side projects. Pour moi, Last Shadow Puppets, est le disque parfait et assez intemporel. Comme il l’a fait avec Miles Kane, je ne sais pas qui a fait quoi. Je trouve aussi que quand il est seul - comme quand il compose la B.O. de Submarine - c’est vachement bien. Je trouve qu’il écrit des chansons fantastiques. Il perpétue une espèce de tradition de la pop anglaise à son plus haut niveau. Avant, j’aimais beaucoup Pete Doherty, mais aujourd’hui c’est Alex Turner et, en plus, il arrive à maturité. C’est pas Lou Reed, mais…

Si demain tu pouvais te téléporter à n’importe quelle époque en ayant vingt ans, dans quelle époque de l’histoire de la musique choisirais-tu d'atterrir ?
66 à New-York. Après, en 67, j’irais à San Francisco, puis je passerais par Londres. Je porterais des platform shoes ! (Rires) Peut-être que je me maquillerais, et après, tout de suite, je reviendrais à New-York pour le CBGB et tous ces artistes merveilleux : Alan Vega, Television, Blondie, Talking Heads

Donc tu choisirais la décennie 66-76…
Oh oui, parce qu’à ce moment, il y a vraiment une espèce de truc fantastique qui s’ouvre. C’est dément, il y a une richesse absolument incroyable et tout le monde essaie des choses. En plus ça englobe, des moments particulièrement bien comme 72, une année vachement intéressante, ou 69, une date fantastique. 69 est marrante parce qu’elle est coincée entre deux moments : la fin des années 60 et tout ce qui va se produire après. L’album des Stooges sorti en 69 annonce le punk. Il y a aussi le deuxième disque de Bowie, Karen Dalton ; il y a l’album de Marvin Gaye qui est paru juste avant What’s Going On, l’album de Dusty Springfield, Dusty in Memphis, il y a eu des monuments en 69.

Tu disais dans une interview que ton genre préféré reste la soul music
Oui, oui, oui. Mais d’ailleurs, je constate que Lou Reed écoutait de la soul, c’était un grand fan de soul. Ils adoraient Motown, le Velvet. Ils parlent même de Martha and the Vandellas dans l'un de leurs titres, Temptation Inside your Heart.

Tu as déjà visité le studio Motown à Détroit ?
C’est mon rêve ! C’est mon rêve et c’est un peu une terreur, parce que c’est un endroit tellement mythique… En plus, Détroit est devenu une ville absolument incroyable, une ville-fantôme. Détroit est une ville vachement intéressante parce qu’après, il y a tous les groupes de rock : MC5, les Stooges, tout ça. C’est une ville qui a produit une musique très intéressante. Et aussi une électro très dure…

Tu disais aussi que tu trouvais Bowie froid.
C’est quelqu’un qui m’a toujours intéressé, et j’ai trouvé qu’il levait un coin du voile avec la chanson Where Are We Now ?. On se disait : «tiens, il y a un petit cœur qui bat dans la poitrine de David Bowie !» (Rires). Sinon, je trouve que c’est quelqu’un d’assez froid, oui, mais d’assez passionnant. Il a absorbé plein de choses, et l’a fait très bien - comme toute la période berlinoise qui est d’ailleurs complètement pompée sur Scott Walker.

D’aucuns le considèrent comme un vampire génial…
Oui, oui mais il faut savoir le faire. C’est du génie de savoir voler !


Et quant à Lou Reed…
Lou Reed a inventé un style mais c’est un littéraire. C’est moins un musicien qu’un littéraire. Toutes les grosses avancées de la musique de Lou Reed arrivent quand il est avec John Cale. Avec son troisième album, le Velvet devient beaucoup moins aventureux. Mais, c’est vrai, il y a Berlin

Sa carrière solo a été propulsée par Bowie, pourtant.
Oui, parce que Bowie avait deux idoles : Lou Reed et Iggy, et qu’il a été très intelligent de s’en rapprocher, de s’associer à eux.

Tu as rencontré Iggy ?
Un peu. C’est quelqu’un à qui je dis bonjour mais je ne peux pas dire que j’ai des relations. J’ai toujours nourri une certaine passion pour Iggy. Pour moi, c’est un crooner de l’apocalypse ! Je l’ai vu avec les Stooges à Londres juste avant mon opération. C’était vraiment bouleversant, j’avais l’impression qu'il s'agissait d'un concert d’adieu. Il allait vraiment chercher les gens pour leur dire au revoir et avait l’air très ému. Son handicap (une jambe plus courte que l’autre, ndlr) est maintenant tellement visible et fort que cela rajoute une dimension presque tragique à sa performance.



Je constate avec effroi que j’ai oublié de te parler de la troisième soirée du festival Days Off au cours de laquelle tu inviteras d’autres artistes, principalement de la jeune génération, à jouer avec toi à la Salle Pleyel (qui dépend de la Cité de la Musique, ndlr)…
Au départ, Tombés pour la France est le nom d’une soirée organisée par le magazine Magic au cours desquelles ils présentent tout le fleuron de la nouvelle pop française. J’ai demandé à Franck Vergeade, le rédacteur-en-chef du magazine que je connais bien, de s’associer à cette semaine puisque je suis curateur de cette semaine à la Cité de la Musique. Donc ça passe aussi par le cinéma, j’ai une carte blanche, une shoplist : chez Harmonia Mundi, il y aura tout ce que je suggère comme bouquins, disques, etc. On avait envie de faire une soirée qui serait une sorte de "super-Tombés pour la France" où l'on inviterait tous les gens qui ont explosé, qui ont réinjecté beaucoup d’énergie dans la pop française à savoir Aline, Lescop, François and the Atlas Mountains

Ça se passera comment ?
Ça sera quelque chose de très libre. Je ne voulais pas que ça soit «Étienne Daho présente…» Il se trouve que j’en serai le fil conducteur, c’est à dire que j’interviendrai de temps en temps pour chanter en duo avec quelques-uns des invités, mais globalement, chacun viendra faire ce qu’il veut. Il y aura aussi Poni Hoax, les Pirouettes, Yan Wagner, Calypso Valois qui est la fille d’Elli et Jacno, Patrick Vidal, La Femme… Je voulais aussi que ça constitue une espèce de lien entre ma génération et celle-ci. Donc il y aura aussi des hommages à ceux qui ne sont plus avec nous, les petits camarades qui sont au ciel ou en enfer, enfin ceux qui ne sont plus là... (Emu)

On a vécu une période très triste avec toutes ces disparitions (Fred Chichin, Jacno, Daniel Darc)
Oui, oui, oui. C’est pour ça que j’ai pensé que j’étais très sérieusement le prochain sur la liste ! (Rires). C’est passé tellement près que… Ca faisait partie des probabilités, je l’ai envisagé de cette manière.


Quel regard portes-tu sur la situation de notre pays ? Tu disais dans une interview porter un regard «pas très satisfait» sur ce qu’il se passe…
Insatisfait et en même temps très satisfait parce que je me dis qu’en période de crise, il y a une espèce d’envie de la part des artistes de s’exprimer et de créer des choses. Quand j’ai commencé, j’avais l’impression qu’il y avait beaucoup plus de mélanges entre les genres. Les gens du cinéma comme Éric Rohmer et Olivier Assayas demandaient à Jacno de faire de la musique. L’Art Contemporain venait s’en mêler. Il y avait plein de mélanges des genres. J’ai l’habitude que les disciplines se mélangent. Ça m’intéresse beaucoup plus de parler à quelqu’un qui fait de l’Art Contemporain et qui va m’expliquer comment tout d’un coup il va s’exprimer, comment il trouve son style. Ça me passionne d’essayer de capter ces choses-là. Comme lui sera fasciné parce que j’ai en permanence des musiques qui m’arrivent dans la tête. On a perdu cette chose-là depuis une vingtaine d’années. Même en musique, il y a des cloisonnements. Il y a des gens qui font du hip-hop, des gens qui font de la pop, de la chanson française… Il n’y a pas de liens entre eux. Je rêve d’endroits où on refait le monde. J’en ai marre qu’on passe son temps avec son téléphone sur la table, qu’on soit tout le temps devant son ordinateur. J’ai l’impression que la plupart des gens vivent leur vie à travers un écran et c’est très, très frustrant. C’est très limité parce que ce sont les échanges qui font qu’on avance.
Dans la période de frustration actuelle, on est tous très, très déçus par les politiques parce qu’on a l’impression que rien ne peut se produire, que tout vient de l’Europe et qu’on est coincés dans un système insoluble dont on ne peut pas sortir. Et je pense que c’est par l’Art, par les artistes qu’on est sortis par le haut. J’ai l’impression que les gens sont emplis par leur propre image et qu’elle est beaucoup plus importante que ce qu’ils sont vraiment. Il faut qu’on arrive à se reparler, quoi ! Peut-être que je suis mal élevé parce que je viens d’une génération qui s’est beaucoup engueulée en se bourrant la gueule dans les bars et que tout ça a donné des films, des chansons.
Comme maintenant, j’ai l’impression que tout est cloisonné, j’aimerais bien retrouver des endroits comme ça, où on se mélange. En Angleterre, je trouve ça dans les pubs. Là-bas, il y a une convivialité, un mélange des gens. Je peux parler avec un vieux, après avec un jeune punk, des gens qui ne savent pas qui je suis. Quand on est accoudé à un bar, il y a une ouverture, une possibilité qu’il puisse se passer quelque chose qui puisse faire vraiment bouger votre sensibilité. Et d’ailleurs là-bas, ça m’arrivait très souvent de parler avec un mec qui me demandait si j’avais écouté tel disque et qui me disait que le groupe allait jouer après-demain dans je ne sais quel club. J’y allais et quelqu’un d’autre m’envoyait ailleurs. Quand je suis à Londres, j’ai la sensation de retrouver la «circulation» que j’avais quand j’étais plus jeune et qui me gardait toujours en éveil. C’est vraiment le fond de ma nature et ça m’intéresse vraiment que mon parcours puisse me réserver des surprises sur ce que je vais faire demain. Paris est plus cloisonné pour moi. Le fait d’être connu m’enferme plus parce que je suis quelqu’un sur qui les gens ont des informations qui leur plaisent ou déplaisent. En fait, ça me ferme ou m’ouvre des portes mais très souvent les gens qui pourraient être intéressants ou être intéressés par moi ne me parlent pas de peur de faire groupie ou par timidité. Je suis obligé de faire la démarche, et comme je suis un peu réservé…


L’affiche du disque a été interdite par la RATP : une nouvelle preuve qu’on nage dans une période politiquement correcte ?
On est dans une période super-con ! Quelle absurdité ! Cette photo n’est qu’une belle photo sans intention. J’ai lu des critiques parfois complètement stupides et très cons. Quand on me connaît, dire que c’est une pochette sexiste faite pour vendre des disques, c’est tellement con ! Ce n’est pas du tout la manière dont je fonctionne ! Cette fille est apparue. On lui a demandé de poser avec moi, ça a duré trois secondes, c’était pas du tout prévu. La photo est tellement belle que je l’ai choisie pour qu’elle soit la pochette de l’album, c’est tout ! Il n’y a rien d’autre. Après, les gens se sont énervés dessus, mais c’est pas mes oignons, je n’ai rien à dire de particulier. Je pense que c’est des gens qui ont des projections de cul, des frustrations, des envies, donc en fonction de ça, ils ont réagi par rapport à cette image. Moi, je m’en fous, ça ne me concerne pas, c’est pas mes oignons à la limite.

Pas mal d’artistes se plaignent du climat général en disant que nous sommes dans une période hypocrite, l’histoire de l’affiche n’en étant qu’un exemple…
Je ne m’en préoccupe pas du tout. Je fais ce que je dois faire. C’est un album qui parle d’émotions fortes, de sexualité, de créatures, de gens qui sont dans la marge. Il célèbre les héros de la marge, les gens qui ont des difficultés avec l’existence, donc qui sont les gens avec lesquels je me sens le plus en phase.


Tu en fréquentes beaucoup de ces gens «dans la marge» ?
Moi-même déjà, tous les matins ! (Rires) Même si je porte une cravate et que j’ai l’air d’être un gentil garçon ! D’ailleurs, ce n’est pas gênant d’être poli et gentil et d’avoir des rapports doux et harmonieux avec les autres, j’aime bien, mais pour les gens qui me connaissent, voilà ! (Rires)

Tu disais qu’enfin les gens comprennent ce que tu veux faire…
Oui, c’est mieux, ça m’a fait plaisir. C’est agréable d’être compris. Je ne le suis certainement pas par tout le monde, mais il n’est pas du tout dans mon intention de séduire la majorité. Je ne suis pas un séducteur pour être un séducteur. J’ai envie de partager des choses mais il y a des gens que je n’ai pas du tout envie d’attraper. Je n’ai pas envie qu’il y ait des confusions et d’être aimé pour les mauvaises raisons. En même temps, je ne suis pas du tout un artiste maudit. J’ai eu du succès très vite, j’étais connu à vingt-deux ans donc j’ai l’impression d’avoir toujours été d’une certaine manière sous le feu des projecteurs. J’ai adapté ma manière de me comporter à cette situation absurde d’être un mec connu (rires) alors que la célébrité est vraiment le truc qui ne m’intéresse pas dans tout ça ! Ca ne m’intéressait pas quand j’étais petit - ou alors juste un peu parce que ça me permettait de rentrer au Palace ou aux Bains-Douches gratos et, qu’au lieu de me faire jeter des boîtes de nuit, j’avais tapis rouge et cinquante potes qui rentraient derrière moi. (Rires) Ça, c’était assez gracieux ! (Rires)

Avec Les Chansons… , tu as voulu très tôt faire un album assez dansant. As-tu déjà une idée de ce que tu aimerais faire du prochain ?
Non, pas du tout. Les musiques du dernier album sont arrivées très, très vite. Les textes aussi finalement puisque j’ai écrit en moins de trois mois, ce qui est assez rapide compte tenu de la densité. J’ai écrit je ne sais combien de cahiers ! (Rires)

Tu écris à la main ?
J’écris à la main quand je suis dehors et je prends plein de notes. Après, j’ai besoin de voir le texte sur mon ordinateur - avant, j’avais une machine. En regardant un texte tapé, je vois tout de suite où ça ne va pas. À l’œil déjà, il y a une rythmique, qui intervient avant la réflexion.



Tu enregistres tes idées de mélodies sur un dictaphone, c'est ça ?
Oui, maintenant c’est bien, j’en ai un sur mon téléphone. Avant, je perdais tout J’ai écrit plein de choses que j’ai perdues parce que j’ai habité chez plein de gens. J’ai laissé plein de choses un peu partout.

Tu as tout le temps des idées de mélodies, ou est-ce qu'il y a des périodes - comme après avoir fini de composer un disque par exemple - où tu n’en as pas ou moins ?
J’en ai tout le temps, je suis une machine à mélodies, j’en ai tout le temps ! Pas quand je te parle mais quand on arrêtera, ça reviendra tout de suite.

Certains musiciens disent que quand ils ont fini un disque, ils sont complètement vidés…
Ce disque m’a donné une espèce d’énergie. J’ai adopté une manière de travailler différente, j’ai atteint une sorte de maturité tout à fait bienvenue qui fait que j’ai trouvé cette nouvelle manière de fonctionner. Désormais, je me lève à l’heure où je me couchais autrefois. Ça change pas mal de choses. Malgré ce qui m’est arrivé, je ressens une vitalité qui est assez planante. (Rires) Mon corps est plein de vitalité et je mets cette vitalité dans mon travail parce que c’est vraiment la chose qui m’intéresse le plus !

Tu continues de sortir beaucoup ?
Avant j’allais beaucoup au Harry’s Bar parce qu’il n’y a pas de musique et que, dans les endroits où il y a de la musique, je n’entends qu’elle et je ne peux donc pas avoir de conversation. Le Harry’s Bar me plaît parce que j’aime bien boire et rencontrer les gens et qu’il y a une convivialité. J’y ai fait plein de rencontres de gens improbables que je n’aurais jamais rencontré autrement. Mais comme je ne peux pas boire pour l’instant, j’ai été obligé d’arrêter parce que c’est trop tentant.

Qu’est-ce que tu aimais boire ?
Tout ! (Rires) Beaucoup de bière évidemment, mais quand je bois de la bière je n’ai pas du tout l’impression de boire. J’aime aussi beaucoup le vin et les cocktails.


Mais là, tu dois faire attention…
Oui, donc je retrouve d’autres moyens d’être high ! (Rires)

Tu sais déjà ce que tu feras après la tournée ? Vous allez enregistrer un album live ?
Je ne sais pas. On enregistre à chaque fois. Chaque fois qu’on part en tournée, je me dis que ces versions live sont vachement bien. On se laisse attraper par le fait que les fans disent que ça serait bien qu’il y ait un live, et on se trouve happés par un système dans lequel il y a un live après chaque album studio. Ce système est vachement agréable parce qu’il donne un document mais il aboutit à une espèce de régularité banalisante. Donc je ne sais pas. C’est tentant d’enregistrer mais une fois que ça l’est, il y a des pressions pour que ça sorte.
J’aimerais bien filmer Pop Satori... Je l’avais déjà joué en 2006 pour les Inrocks mais il s’était passé quelque chose de bizarre. J’avais eu une sensation  étrange : j’étais plein de légèreté quand je suis rentré sur scène mais je me suis retrouvé confronté à la nostalgie des gens qui avaient la sensation de leur adolescence perdue. J’ai trouvé qu’il y avait une espèce de truc que je n’avais pas prévu et ça a un peu influencé la vibe. Enfin, c’est comme ça que je l’ai vécu. J’en ai parlé à quelqu’un qui y était l’autre jour et qui m’a dit : «non, pas du tout, je me suis éclaté, j’ai trouvé ça léger». Moi, j’ai ressenti autre chose, mais maintenant, j’ai envie de le faire. J’étais peut-être dans une période où j’étais peut-être trop près de ces disques-là. Ils ont tellement marché qu’à un moment donné, tu es victime de tous les tubes que tu as faits. Bon, j’adore les tubes. J’en ai plein, c’est génial, j’ai de la chance ! (Rires) C’est rare d’avoir un tube, une chanson qui reste et que tu partage avec les gens. Tu te dis : «ouais un tube perd de sa saveur. Ça passe tellement que ça perd de sa substance». En fait, pas du tout : dès que tu attaques les premières mesures d’une chanson connue, il se passe quelque chose dans la salle qui t’emporte toi-même. C’est émouvant.

En concert, on est toujours content d’entendre des morceaux rares ou inédits, mais s’il n’y a pas les tubes, on sort quand même toujours un peu frustré…
Oui, ça me fait ça à moi aussi. Quand je vais à un concert, j’ai envie d’entendre les tubes !

++ Le dernier album d'Etienne Daho, Les Chansons de l’Innocence Retrouvée, est disponible ici et est en écoute intégrale sur Deezer.

++ Etienne Daho aura carte blanche au festival Days Off, les 1er, 5 et 8 juillet, et il sera présent dans les festivals à partir du 11 juillet. Quant à sa tournée personnelle, elle commence à partir du 25 septembre prochain.

Interview : Olivier Richard // Photos: DR.

P.S.  Vous pouvez retrouver cette interview dans son intégralité directement sur le site : www.brain-magazine.fr

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire